De plus en plus d’auteurs utilisent le jeu vidéo dans leurs récits, que ce soit sous la forme de gimmicks, ou bien encore comme support pour bâtir un univers. A l’heure où ce type d’histoires devient de plus en plus populaire, on peut se poser la question de l’intérêt à donner un air vidéoludique à une oeuvre.
Les gimmicks ou la facilité
Parmi les différentes oeuvres utilisant le jeu vidéo dans leur récit de fantasy, il existe donc les récits se servant de gimmicks pour épicer un peu l’univers proposé. J’entends par là que ce sont des histoires se déroulant dans un univers de fantasy, mais utilisant des éléments importés du média vidéoludique. On retrouvera ce procédé dans de nombreux isekai :
- The Rising of The Shield Hero, qui emprunte niveaux, groupes, Point de Vie, Point de magie et surtout arbres de compétences.
- Kono subarashii sekai ni shukufuku wo, qui emprunte les classes et les compétences.
- Moi, quand je me réincarne en Slime, qui emprunte, non seulement les compétences, mais aussi l’explication des compétences via une interfaces.
- Et je citerai enfin Danmachi, qui n’est pas un isekai, puisque le personnage principal, Bell appartient à l’univers du récit. Celui-ci emprunte au jeu vidéo, la quantification des caractéristiques, ainsi que les compétences.
Si cette liste est absolument non exhaustive, on constate tout de même un point commun : La majorité des éléments repris sont des éléments permettant d’obtenir des informations sur la situation des personnages, sa santé, sa capacité à lancer des sorts etc… Pourquoi pas ? Mais où est l’intérêt d’écrire : “Il ne lui reste que 20 PV”, plutôt que, “Il est à l’article de la mort” ? Quel est l’intérêt d’utiliser un tel subterfuge ? Dans une univers de fantasy, ce n’est pas forcément pertinent. Par contre, là où ça peut le devenir, c’est dans l’implication du lecteur. Il ne faut pas oublier que ceux-ci sont souvent des adolescents ou de jeunes adultes, qui ont grandi avec ces codes. De plus, le fait que l’on quantifie, peut donner à certains une idée plus précise de la situation, ce qui favorise l’attention du lecteur. De l’autre côté, cela évite à l’auteur de devoir expliquer un système complexe, puisque celui-ci, presque tout le monde le connaît. Et c’est dans le “presque” que tout se joue. Parce tout simplement, quelqu’un d’hermétique aux jeux vidéo peut vite être largué. Heureusement, dans beaucoup de titres qui se servent de ce procédé, dont ceux que j’ai cités, l’univers est tout de même assez développé pour qu’au final on s’intéresse à l’univers et pas au système en lui-même :
- Dans Slime, l’univers va se former petit à petit au même moment que la société mise en place par le slime va prendre forme.
- Dans Danmachi, il est question de Dieux cohabitant avec les humains et un immense donjon souterrain.
Le fait d’apporter ces gimmicks apportent donc beaucoup de facilité pour l’auteur, mais cela ne doit pas se faire au détriment de l’univers, sous peine de casser la cohérence de l’oeuvre et d’énerver le lecteur. Mais qu’en est-il des cas où l’univers EST un jeu vidéo ?
(VR)MMO
Etant donné que le jeu vidéo fait désormais partie intégrante de notre société, il n’est donc pas étonnant de voir se déroulant dans un jeu vidéo. Et quoi de plus logique que dans un MMORPG ? Après tout, un MMO c’est l’endroit idéal pour pouvoir poser un univers et justifier que des gens humains se parlent dans ce genre d’univers. Eh bien, ce n’est pas aussi simple… Et le meilleur exemple qui illustre cette difficulté est Français ! Cocorico, ou pas.
Noob ou le contre-exemple
Noob est une websérie Française de Fabien Fournier débutée en 2008 (Déjà ?!). Nous y suivons principalement les membres de la guilde Noob au sein du MMORPG fictif, Horizon. Pour moi, la série a deux atouts à double tranchants, et c’est justement ce qui m’a fait décrocher. D’une part, l’univers d’Olydri (l’univers d’Horizon) est énormément développé, factions, guildes, background de PNJ et de joueurs, Fabien Fournier propose un univers vaste, si bien que Noob n’est plus une websérie, mais une licence transmédia, allant de la BD, aux romans. Si bien que finalement, il est parfois difficile de connaître tel ou tel personnage si l’on n’a pas tout suivi et la série n’aide pas vraiment le nouvel arrivant. (C’est aussi un reproche que l’on peut faire à Marvel et son MCU).
Mais NOOB tient aussi sa force de son parti pris, respecter autant que possible les codes du MMO puisque la série s’y déroule. Le truc, c’est que c’est là où ça coince avec moi. Au départ, j’appréciais la série parce que les enjeux étaient simples et cohérents avec le côté MMO. Pour vous donner un exemple, l'ascension de la tour Galamadriabuyak était réussi car l’objectif était cohérent avec l’univers, mais surtout crédible, j’avais envie de les voir réussir grimper cette tour. Mais dès lors que l’objectif était d’empêcher un hacker de sévir, ou même d’empêcher “le premier game over de l’histoire des MMORPG”, je n’y croyais plus et mon implication était nulle car je ne n’avais qu’une seule envie, répondre à tous ces joueurs, “Ce n’est qu’un jeu, calmez-vous, trouvez-en un autre !” Et pour moi, c’est là le plus gros problème de la série, car si elle ne m'implique pas, il n’y a pas de raisons pour que je continue à la suivre. Mais à partir de là, on peut alors se poser la question : Est-il possible d’impliquer le lecteur/spectateur dans un récit se déroulant dans un jeu vidéo ? (Alors, oui, parce que je ne suis pas le centre du monde et que beaucoup de gens apprécient NOOB).
Disons que pour moi, Noob était un peu l’exemple qui ne marche pas, pour mettre en valeur ce qui marche et leur manière de le faire. Et nous allons voir qu’il existe plusieurs moyens à cela.
Bofuri ou le jeu pour le jeu
Bofuri est un anime de 12 épisodes diffusé pendant l’hiver 2020 et disponible sur la plateforme Wakanim.
Maple commence à peine le VRMMO NewWorld Online, sur les conseils de son amie Sally. N’y connaissant pas grand-chose, elle a mis tous ses premiers points de compétence en VIT (défense). Dès qu’elle a rencontré des petits monstres de base, elle s’est fait ridiculiser… mais ça ne lui a pas fait le moindre mal ? Ils ont beau l’envoyer valser, elle ne reçoit aucun dégât ! En plus, elle a eu la chance de tomber sur une compétence de contre qui tue l’ennemi en un coup. Et grâce à l’aide de camarades aux mêmes préférences qu’elle, Maple ne va cesser de progresser. Que l’aventure à zéro dégât commence !
Passons d’abord outre le fait que l’histoire se passe dans un VRMMO, mais concentrons-nous tout de même sur le côté MMO. Dans Bofuri le principe est simple : Maple, une newbie, va, en compagnie de son amie Sally, jouer à un MMO dans lequel elle va se spécialiser en défense, rien de plus, rien de moins. Mais alors, qu’est-ce qui fait que cette série fait bien les choses pour le sujet dont on parle ? Eh bien, c’est tout simplement qu’ici, les objectifs sont cohérents avec le support qu’on nous propose : Les objectifs de Maple et ses amis seront des quêtes, des events, comme dans n’importe quel MMO. De plus, compte tenu de sa spécialisation peu orthodoxe, mais plausible, chaque bataille promet son lot de suspense (et on parlera pas ici de la mise en scène). Autre point important, la série joue beaucoup sur les capacités farfelues (Défense de zone, boule de laine, mecha) qu’obtient Maple au fur et à mesure, comme un petit élément rigolo, mais bien pratique. Si bien qu’à l’instar des autres personnages, on se demande quelle capacité elle va encore obtenir. Dans Bofuri, l’intérêt vient principalement des sessions de jeu en elles-même et c’est ce qui fait la force de cette série sans fioritures. Cela justifie donc largement l’ajout de la dimension vidéoludique dans le titre.
Alors évidemment, ici les objectifs sont simples, mais il est tout à fait possible d’écrire une histoire profonde en se servant de la fantasy et du jeu vidéo.
Sword Art Online, l’antimilitariste populaire
Sword Art Online est un Light Novel écrit à partir de 2009 par Reki KAWAHARA. Si un jour, on vous demande la première qui vous passe par la tête quand on vous dit VRMMO, il y a de fortes chances pour que l’on vous réponde : SAO. Et pour cause, il a été élu meilleur série de la décennie par le « Kono Light Novel ga Sugoi! ». Mais au fait, c’est quoi un VRMMO ?
Les VRMMO désigne les MMO jouable en réalité virtuel dans lesquels, les signaux nerveux du joueur sont transmis dans le jeu. Plus proche de la science-fiction que de la fantasy, c’est néanmoins cet élément qui va permettre d’étoffer l’univers, mais aussi l’implication du joueur. Si dans Bofuri, ce n’est qu’un prétexte pour que Maple vive directement ses aventures, dans Sword Art Online, c’est un outil pour parler de son utilisation possible, ses dérives, mais aussi de traiter de juger graves, comme la maladie ou plus généralement, la guerre.
Dans les deux premiers tomes de Sword Art Online, nous suivons Kirito, un jeu joueur, qui comme tous les autres, s’est retrouvé bloqué dans le jeu éponyme. Seule solution pour sortir ? Vaincre le dernier boss du jeu, mais attention, si un joueur meurt dans le jeu, il meurt dans la vraie vie. Narré à la première personne, l’arc Aincrad est une métaphore des jeunes hommes et femmes devant faire face à l’horreur de la guerre, par le biais de descriptions, laissant au lecteur la capacité de ressentir la peur, la tristesse et les doutes des personnages, exacerbés par cette situation exceptionnelle. En complément, le film d’animation Sword Art Online: Ordinal Scale, parlera du manque de considération vis-à-vis des personnes qui n’étaient pas directement au front, mais qui offrait un soutien moral. Ajouter à cela, l’arc Alicization dans sa totalité et vous obtiendrez une oeuvre qui fustige la volonté de remilitariser le Japon. (Ce n’est pas le sujet donc, je ne développe pas plus). L’idée ici est donc de se servir de la VRMMO comme toile blanche pour donner de la valeur ajoutée à un univers à forte dominance de fantasy, puisque, avons-le, s’il n’y avait pas cet aspect, SAO serait un banal récit de fantasy. Et si Sword Art Online s’en sort bien. Ce n’est pas le cas pour toutes les oeuvres.
Ready Player One, la surabondance inutile
Si Ready Player One est un roman je vais surtout parler du film sorti en 2018 et réalisé par Steven Spielberg.
En 2045, le monde est au bord du chaos. Les êtres humains se réfugient dans l'OASIS, univers virtuel mis au point par le brillant et excentrique James Halliday. Avant de disparaître, celui-ci a décidé de léguer son immense fortune à quiconque découvrira l'oeuf de Pâques numérique qu'il a pris soin de dissimuler dans l'OASIS. L'appât du gain provoque une compétition planétaire.
Cette fois-ci, ce n’est donc pas une oeuvre Japonaise mais Américaine. Sur le papier, cela pouvait être intéressant : Une société utilise la réalité virtuelle pour échapper à la réalité et au triste constat qu’elle offre. Si bien que finalement c’est presque comme si l’OASIS était devenue la réalité. Sur le papier, cela aurait pu donner quelque chose de bien, mais trop rapidement, le film oublie son propos pour nous déverser des clins d’oeil tout le long du film, pour au final nous asséner une morale pour laquelle on aurait envie de répondre “OK Boomer”. Toutefois, il convient de souligner que, malgré le côté dystopique, le titre convient au sujet puisqu’ici, les codes de la pop-culture sont tellement intégrés à l’oeuvre, qu’il est impossible de le transformer en un titre de fantasy classique. Malheureusement, le message qu’il aurait pu transmettre, ne sert que de base à un gloubiboulga de références à la pop-culture. Heureusement, le dernier titre dont on va parler, propose quelque chose d’intéressant.
Infinite Dendrogram ou l’Humanité Artificielle
Infinite Dendrogram est un Light Novel Japonais de Saikon Kaidou, il est depuis peu disponible en France en version numérique.
Le 15 juillet 2043, sortait le VRMMO immersif « Infinite Dendrogram » intégrant « l’Embryo », un système unique se développant en une infinité de variétés selon chaque joueur.
S’appuyant sur des prouesses techniques qui étaient jusque-là inaccessibles aux VRMMO, « Infinite Dendrogram » est devenu en un clin d’œil un phénomène mondial.
Mukudori Reiji débute sa vie à Tokyo après avoir réussi ses examens d’entrée à l’université et, pour célébrer la fin de sa longue période de révision, décide de lancer le jeu afin d'y rejoindre son frère…
Une fois encore, il s’agit là d’un titre de VRMMO, et bien que je n’en ai lu que le premier tome, celui va nous permettre d’explorer le thème de l’Intelligence Artificiel dans un cas plus général que Sword Art Online Alicization, par exemple. Il va être question d’IA tellement poussées que finalement, les joueurs, vont les considérer comme des personnes à part entière. Cela vient bien au-delà de phrases préconçues, mais bien au niveau de réaction quant à des éléments passés. Si bien que lorsque le narrateur annonce qu’une mort dans le jeu équivaut à 24h de ban IRL, ce qui équivaut à 3 jours dans le jeu, on montre que les conséquences peuvent être aussi bien pour le joueur que pour l’univers du jeu tout entier. Ainsi, en utilisant lui aussi le MMORPG comme base, Saikon Kaidou va aussi proposer un univers à la fois simple pour favoriser l’immersion, grâce à des codes connus, mais va l’améliorer avec un thème classique de la science-fiction qu’est l’intelligence artificielle. Comme le dirait la dernière phrase du livre : “Après tout, pour vous ce n’est qu’un jeu”.
Conclusion
Apporter du jeu vidéo dans un récit de fantasy peut donc apporter une facilité, non pas pour l’auteur, mais pour favoriser l’implication du lecteur/spectateur dans le récit. Si au départ on peut croire à de la paresse, rapidement on se rend compte que s’il on enlevait ces éléments parsemés, l’univers serait tout aussi cohérent. Par contre, dans le cas où le jeu vidéo sert de base solide à un univers alors cet ajout doit servir de valeur ajoutée, afin de véhiculer, un message, ou un intérêt pour le lecteur, tout en restant cohérent, sous peine de le voir décrocher, aussi grand soit l’univers construit.
Aussi j’ai bien conscience que les oeuvres évoquées ici ne sont qu’une infime partie de ce qui existe. Donc si vous trouvez qu’une oeuvre entre dans les thèmes abordés, n’hésitez pas à en parler en commentaire.
Commentaires
Ce point de vue m'a fait réfléchir sur certains points de SAO que je n'avais pas du tout considéré. Bon article ^^